Un esprit d’explorateur

Coup de projecteur I Nouveaux médias (Mars 2017)
Entrevue de Pierre Moissan I Propos recueillis par Marie-Pascale Laurencelle


Comment la ville a-t-elle su développer une telle culture de l’innovation? Les réponses de Pierre Moisan, pionnier du divertissement interactif au Québec, aujourd’hui conseiller principal au Centre d’entreprises et d’innovation de Montréal.

Comment Montréal est-elle devenue en vingt ans le 3e pôle mondial de jeux vidéo ?

Avec Softimage, une société d'animation 3D, fondée par Daniel Langlois en 1986 et rachetée par Microsoft en 1994, Montréal s’est d’abord distinguée dans l’imagerie de synthèse. Puis, dans les années 1990, Sylvain Vaugeois, alors conseiller politique, part en France rencontrer les frères Guillemot, fondateurs d’Ubisoft, qui tenaient un magasin informatique mais souhaitaient se lancer dans le jeu vidéo. Vaugeois leur offre de payer 50% des salaires des employés s’ils décident de s’installer au Québec. C’était présomptueux de sa part, car il n’avait pas d’entente avec le gouvernement. Il réussit cependant à convaincre le Premier ministre Bernard Landry de mettre sur pied un programme de crédits d’impôts pour soutenir l’industrie du jeu vidéo. C’est l’une des plus belles improvisations jamais vues… Et cela a marché ! Ubisoft est un moteur de développement à Montréal depuis 1997.

En quoi la ville est-elle capable d’être le foyer d’une créativité originale ?

Plusieurs créateurs ont été formés par Ubisoft. Aujourd’hui, ceux-ci démarrent leur propre entreprise dans l’espoir de concevoir le prochain blockbuster. Ils en ont la capacité. L’industrie est désormais mature. Par ailleurs, le Québécois est par nature un « patenteux », c’est-à-dire quelqu’un qui est capable d’inventer des choses originales avec peu de moyens. Car nous sommes un peuple de survivants. Or pour innover en nouvelles technologies, il faut savoir mentir à l’ordinateur, contourner ses limites. C’est une forme de créativité qui nous convient bien. Les entreprises françaises aiment signer leurs produits d’une French touch, mais il leur faut la caution américaine. Chez nous, ils trouvent l’Amérique et la French touch.

Existe-t-il d’autres raisons pour expliquer la dynamique d’innovation dont fait preuve la métropole ?

Nous disposons, en ce moment, en plus des crédits d’impôts, d’un fabuleux programme. C’est le Fonds des Médias du Canada, volet expérimental, qui peut investir jusqu’à 1,5 million de dollars canadien d’argent public dans un projet. Et l’un des critères pour l’obtention de cet argent est justement l’expérimentation. On ne trouve nulle part ailleurs un tel capital de risque qui incite à inventer. L’exploration se développe dans tous les domaines: réalité virtuelle, réalité augmentée, son tactile, holographie en temps réel, imprimerie 3D, intelligence artificielle, etc.

Jusqu’où peut aller cette effervescence ?

Ce qui se passe aujourd’hui à Montréal, c’est un nouveau «Klondike ». C’est la ruée vers l’or numérique, la conquête de l’Ouest, avec cet esprit américain du « que peut-on faire mieux? » Quand j’ai commencé dans le jeu vidéo en 1993, on réussissait à peine à créer des personnages, ils ne pouvaient pas parler et bouger en même temps, sinon cela faisait planter l’ordinateur. Aujourd’hui ils ont acquis beauté, fluidité, expressivité. Il n’y a pas de limites au progrès. Donc on continue. On doit avoir l’esprit du conquérant, de l’explorateur. Et Montréal est le meilleur endroit pour cultiver cet esprit.


Pierre Moisan
Conseiller principal, nouveaux médias

 

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